Compte rendu des Assises du livre numérique du 13 novembre 2015 : matinée

Le 13 novembre 2015 ont eu lieu les Assises du livre numérique, événement bi-annuel du Syndicat National de l'Édition (SNE), à Paris. Ce rassemblement régulier permet d'établir, dans une certaine mesure, un état des lieux, mais aussi de profiler l'avenir du travail et des actions à mener dans le secteur du livre numérique. Ces quinzièmes assises ont abordé le thème « livres numériques : une vision européenne ? ».
Ce compte rendu suit le fil rouge des interventions de la matinée.

Ouverture des #ALN15

Virginie Clayssen, présidente de la Commission Numérique du SNE a tout d'abord rappelé, dans un discours d'ouverture, l'évolution et les travaux qui ont été accomplis pour le livre numérique ces dernières années : l'instauration du format ePub, l'arrivée de la fondation Readium à Paris, la publication d'un guide des bonnes pratiques pour l'intégration et l'utilisation des métadonnées du FEL (fichier exhaustif du livre), la mise en place du certificat de classification professionnelle pour les éditeurs numériques, la mise en place du projet feniXX pour l'accès aux œuvres indisponibles ou encore l'expérimentation PNB (prêt numérique en bibliothèques) soutenue par le SNE.

Enquête sur la disponibilité des livres numériques français au-delà de la métropole

Virginie Rouxel, consultante innovation et transformation numérique, a présenté les résultats de son étude réalisée pour le BIEF (Bureau International de l'Édition Française) sur la présence et l'accès des livres numériques français à l'étranger. Cette étude sera publiée d'ici la fin de l'année ; elle a été réalisée auprès d'un panel de 12 acteurs, sous forme d'entretiens : quatre éditeurs, diffuseurs et distributeurs, six revendeurs nationaux et internationaux, deux solutions en marque blanche et libraires.

Usagers potentiels et zones géographiques

Il y a 274 millions de locuteurs du français dans le monde. Ils sont donc des lecteurs potentiels. Cependant, on constate que le marché est plus ou moins développé dans le monde. Cela est notamment dû aux questions de droits qui restreignent la diffusion suivant les zones géographiques. On observe donc qu'un livre numérique dont les droits d'auteur "monde" sont acquis, se déploie d'abord en zone française (dont les DOM – TOM) puis dans le monde francophone (Suisse, Belgique, Canada) ainsi qu'en Union Européenne. En 2015, les pays anglo-saxons proposent presque tous ces catalogues mais dans le reste du monde, notamment en Asie, cela n'est pas vraiment développé.

Des freins...

Différents facteurs ralentissent le développement du livre numérique francophone dans le monde.

  • La structure du marché montre l'absence de revendeur sur une certaine partition du monde. Cela témoigne notamment d'un certain parallélisme entre les process du livre imprimé et celui du livre numérique.
  • Depuis 2015, c'est la T.V.A du pays où a lieu l'acte d'achat qui fait foi. Celle-ci est à la charge du revendeur. Or, rien qu'en Union Européenne, ce sont déjà plus d'une trentaine de taxes différentes qui coexistent, entraînant une vraie complexité du marché. Cela amène notamment des coûts de développements techniques pour la conversion des devises et pose la question des fonctionnalités de conversion.
  • Au niveau technique, les revendeurs doivent donc établir la provenance de l'acheteur pour valider les différents points mentionnés : gestion des droits, des prix et de la T.V.A. Trois critères permettent de définir la géolocalisation de l'acheteur et la validation de deux d'entre eux permet la vente : l'adresse IP (bien que celle-ci puisse être détournée), l'adresse physique (qui est déclarative) et l'adresse bancaire (qui n'est pas toujours accessible).
  • Les métadonnées, enfin, peuvent être erronées ou imprécises, cela entraînant une confusion pour les revendeurs (par exemple, des territoires non déclarés dans les métadonnées Onix).

...et des leviers d'ouverture

L'observation de ces contraintes permet de définir les entreprises nécessaires au développement du marché international :

  • Le développement des standards, la numérisation des catalogues, l'acquisition des droits mondiaux et la formalisation des prix internationaux sont des points essentiels au développement du marché.
  • Oser l'expérimentation sur les marchés émergents, avec des processus d'évaluation et d'accompagnement.
  • Investir dans la technologie - notamment des diffuseurs et des distributeurs - pour la structuration complexe des données.
  • Évoluer vers un vrai outil de suivi de fiscalité.
  • Penser l'usager à travers le numérique (notion de service et non de marché) et la loi d'U.X (Expérience Utilisateur).

Le livre numérique en Europe : « Tout ça pour ça ? »

Michael Bhaskar, fondateur anglais de la maison d'édition numérique Canelo, Marcello Vena, consultant italien dans l'édition et l'innovation chez All Brain et Jens Klingelhöfer, directeur allemand de l'e-distributeur indépendant GmbH sont intervenus lors de cette table ronde européenne animée par Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo.

Quelques chiffres :

  • le livre numérique dans les marchés du livre : Royaume-Uni = 20 %, Allemagne = 4 à 5 %, Italie = environ 3 %.
  • Amazon dans les marchés du livre numérique : plus de 80 % de part de marché au Royaume-Uni, 60 % de part de marché en Italie (face à Kobo et Apple qui fluctuent entre 15 et 20 % du marché), 50 % de part de marché en Allemagne où il se partage le marché avec Tolino (20 à 40 % en fonction des éditeurs).
  • Les usages des lecteurs : en Italie, 34 % des lectures de livres numériques se font sur smartphone. Au Royaume-Uni, ce ne sont pas nécessairement les jeunes férus de technologie qui lisent le plus en numérique mais les personnes entre 30 et 50 ans qui cherchent une lecture fonctionnelle. L'équipement en dispositifs dédiés à la lecture (liseuses) s'est répandu plus largement dans les pays anglo-saxons. Ce qui explique que le smartphone n'est pas le dispositif le plus largement utilisé.

Quelles visions pour quelles optiques de développement ?

Au final, les lecteurs d'ebooks sont avant tout des lecteurs. En Angleterre, le phantasme de la cannibalisation de l'imprimé par le numérique est dépassé. Tous les supports qui permettent aux lecteurs de lire plus sont à favoriser. L'important, c'est la lecture !

C'est à partir de ce point que l'on peut explorer deux tendances pour le développement du livre numérique : proposer un contenu fonctionnel pour toucher le lectorat existant ou oser l'expérimentation des nouvelles formes de contenus pour toucher un nouveau lectorat.

La différence de prix entre papier et numérique est également importante. Ainsi, en Allemagne, l'écart de prix est en moyenne de 30 à 50 %. Ce sont indéniablement les prix bas qui ont accéléré le développement du livre numérique au Royaume-Uni. Si aujourd'hui on peut donc constater un ralentissement global des ventes des livres numériques, cela correspond à la logique du marché. Une croissance aussi verticale qu'au Royaume-Uni ne peut pas durer. C'est tout à fait normal que le marché se stabilise. « Ebook is not dead ».

En France, Amazon ne peut pas « casser » les prix car il est contraint par la loi du prix unique du livre numérique ; il n'est donc pas si dominant, mais si rien ne s'oppose à lui, il a le champs libre.

Ouverture

La première phase du marché qui consistait à développer et à mettre à disposition une offre de livres numériques est achevée, il faut désormais rentrer dans une vraie stratégie commerciale et marketing en se recentrant sur le libraire et en pensant l'expérience de l'utilisateur en tant qu'acheteur et lecteur à travers les nouveaux usages du numérique dont l'intéropérabilité est nécessairement une des clefs.

L'European Digital Reading Lab, le nouveau laboratoire Readium à Paris

L'EDR Lab est l’émanation européenne de l'IDPF (International Digital Publishing Forum) qui développe le standard ePub 3 et de Readium qui agit autour de ce standard pour en accélérer l'adoption. Concrètement, l'EDR Lab est une équipe de développeurs travaillant pour développer le logiciel OpenSource SDK de Readium dans le but d'améliorer son code et de maximiser le potentiel d'interopérabilité des solutions de DRM Open Source émanant de LCP (Lightweight Content Protection). Ces solutions permettront d'ouvrir une autre approche du DRM.

Aujourd'hui cette technique est presque exclusivement proposée par Adobe dont le DRM est enfermant pour le lecteur comme pour les plateformes de vente.

Cap Digital, pôle de compétitivité et de transformation numérique, aide au financement et à la promotion en Europe de l'EDR Lab, du laboratoire et du standard. Il a ainsi développé un business plan sur trois ans :

  • Certification pour les implémentations de LCP ;
  • Formations ;
  • Promotion et visibilité de ces standards.

Retrouvez le compte-rendu des conférences de l'après-midi sur cette page : http://www.arald.org/articles/compte-rendu-des-assises-du-livre-numerique-du-13-novembre-2015-apres-midi.

Retrouvez le fil twitter des participants avec le mot-dièse #ALN15.

Le programme ainsi que les vidéos et les synthèses détaillées des conférences sont disponibles sur le site du Syndicat national de l'édition : http://www.sne.fr/evenement_sne/assises-du-13-novembre-2015/.