Entretien avec Sammy Sapin

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Rencontre avec Sammy Sapin autour de J’essaie de tuer personne (Éditions Le Clos Jouve), dans le cadre de la rentrée "confinée" des auteurs d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Danielle Maurel : Sammy Sapin, vous avez récemment publié un récit poétique aux éditions Le Clos Jouve. Vous y relatez vos débuts dans le métier d’infirmier, les doutes, les émotions, la dure réalité, la fiche de paie qui ne fait pas rêver. Autant dire qu’en ces temps de crise sanitaire, votre texte ne manque pas d’une dimension politique.

Sammy Sapin : C’est très vrai, je pense qu’il y a forcément un aspect politique qui se dégage du texte, même si mon intention première n’était pas de faire passer un message particulier. Je suis surtout parti de mon expérience d’infirmier, de ce que je remarquais, de ce que ça bousculait en moi. Mais quand on veut parler de ce métier, on en vient naturellement à aborder les conditions de travail, le salaire, les conséquences de la gestion actuelle des hôpitaux. On peut difficilement passer à côté vu l’état où se trouve l’hôpital public aujourd’hui. Ces politiques marquent profondément les soignants qui les subissent, qu’ils découvrent ou non le métier. Sur ce plan-là, je pense qu’on a atteint un point de non-retour. La crise sanitaire le met davantage en lumière, mais dans tous les cas, à mon avis, s’il n’y a pas soulèvement, il y aura effondrement.

Ce texte a tout d’un journal, d’une succession de notes prises sur le vif, mais est-ce vraiment le cas ? quelle est la part de recomposition ?

Cette impression de « sur le vif » est l’effet que je désirais donner, je voulais que chaque poème semble écrit au jour le jour, mais en réalité le texte est très composé, j’en ai souvent retravaillé la structure pour qu’il y ait, en parallèle du côté quotidien, une forme de progression narrative proche de ce qu’on retrouve dans les romans d’initiation. D’une certaine façon, J’essaie de tuer personne, c’est un roman d’initiation sous forme de journal en 72 poèmes, dont l’action se situe en France, à l’hôpital public, au XXIe siècle.

Aujourd’hui, une génération d'écrivains à laquelle vous appartenez défend une dimension narrative de la poésie, qui prend en charge une confrontation rude, crue avec le réel : quel prix attachez-vous à cette position ? d’où vient-elle ?

Je crois plutôt qu’il y a une partie de la génération à laquelle j’appartiens qui s’est beaucoup nourrie de poésie narrative américaine. Ce qui m’intéresse de mon côté c’est avant tout la structure narrative, ce qu’elle permet de produire comme forme et comme effets. Je me méfie de l’approche réaliste : dans J’essaie de tuer personne, il y a certains passages qui pourraient être qualifiés de fantastique ou d’onirique, et qui sont pourtant bien des voies d’accès au réel, au vécu, à l’expérience humaine. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que je ne recherche pas la confrontation avec le réel, car je sais bien que le réel est beaucoup plus balaise que moi.

Ce texte évoque « les bras de la mort », pourtant il n’est pas dénué de petites touches d’humour, de tendresse, de fantaisie : c’est la condition pour tenir la note juste ?

Oui, comme je savais qu’il serait question de fin de vie, de maladie, de fragilité des corps, j’ai essayé d’être attentif à ne pas réduire mon matériau à son aspect le plus sombre. Et puis ça fait partie de ce qu’apprend le narrateur dans le texte : qu’on peut aussi plaisanter de la mort – c’est même un bon moyen de l’empêcher de bouffer tout l’espace.