Introduction de Pierre Mercklé autour des humanités numériques
Que sont les humanités numériques : une discipline ? une révolution ? une évolution ? Question difficile mais essentielle pour comprendre l'histoire de la collection BI2S. Au détour de cette conférence, Pierre Mercklé est ainsi revenu sur cette notion.
Les humanités numériques : difficiles à définir
Le monde universitaire est un univers de contraintes où les différentes pratiques sont souvent cloisonnées : l'enseignement, la recherche, la vulgarisation, l'édition universitaire et la diffusion du savoir. Cependant, si ce cadre actuel est relativement figé, les transformations induites par le numérique viennent le bouleverser en développant une transversalité des pratiques.
Sur Hypothèses, plateforme de publication pour blogs académiques, on peut lire le manifeste de Digital Humanities. Celui-ci donne ainsi différentes définitions :
- Le tournant numérique pris par la société modifie et interroge les conditions de production et de diffusion des savoirs.
- Pour nous, les digital humanities concernent l’ensemble des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres. Les digital humanities ne font pas table rase du passé. Elles s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique.
- Les digital humanities désignent une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales.
Cette animation qui résume la numérisation d'un bureau de travail de 1981 à 2014 montre bien le changement de paradigme qu'entraînent les humanités numériques :
Une longue histoire de process
Pour Pierre Mercklé, les humanités numériques ne seraient pas qu'une nouvelle discipline, mais l'ensemble des transformations techniques et sociales de l'enseignement et de la recherche. Ainsi, il n'y a pas eu de révolution binaire avec le numérique mais une longue histoire de process. Par exemple, internet serait un produit résultant des relations sociales et non quelque chose qui viendrait d'au-dessus. Internet est donc immanent et non transcendant.
Pourquoi une collection sur les sciences sociales ?
Le projet de la collection BI2S a débuté au moment où Google a commencé une numérisation massive des documents. Face à cela, cette collection était une occasion de s'emparer du numérique pour en faire quelque chose de positif. Par ailleurs, ce projet témoignait de la nécessité de défendre et de diffuser une certaine vision des sciences sociales.
BI2S : la bibliothèque idéale des sciences sociales
Les classiques des sciences sociales
Sur le site de l'Université du Québec (lien vers le site Les Classiques des sciences sociales), il y a 6 000 références de classiques des sciences sociales, mais il n'y a pas de réelle politique éditoriale. Il manque donc certains titres ou auteurs pourtant emblématiques. Techniquement, ce n'est pas non plus satisfaisants : les formats disponibles sont du Word ou du PDF, ce qui pose des problèmes en terme de fonctionnalités de recherche.
Pierre Mercklé souhaite alors créer, au milieu des années 2000, une collection de classiques des sciences sociales, avec une politique éditoriale, des outils de recherche, des formats interopérables, etc.
Un projet en collaboration avec l'Enssib
Après quelques tentatives qui n'aboutissent pas, le projet repart en 2009 avec le soutien de l'Enssib, très intéressée par la démarche. Cinq ans plus tard, huit titres sont édités avec un soutien financier.
Cependant, cette entreprise éditoriale a beau être numérique, elle est pourtant confrontée à un certain nombre de difficultés.
Présentation de la collection BI2S
La collection est consultable en ligne sur OpenEdition Books :
http://books.openedition.org/enseditions/177
L'accès en ligne est gratuit pour tous. Les formats EPUB et PDF sont disponibles gratuitement pour les institutions abonnées (et leurs utilisateurs) ou en achat à l'unité en dehors des abonnements. Il y a également des versions imprimées éditées par ENS Éditions (lien vers la présentation sur le site de l'éditeur).
Les prochains titres : Elisée Reclus, Pierre Duhem, Louis Couturat, etc.
Bilan
Après six années d'aventure, le fonctionnement de cette collection reste complexe. Pierre Mercklé le résume ainsi :
Ça ne roule pas tout seul, contrairement à ce que le numérique pourrait faire croire.
Les difficultés rencontrées pendant le projet
- Domaine concurrentiel des textes classiques/anciens :
- difficile d'attirer avec 8 titres face à Google Books ou Gallica ;
- mais #BI2S ne fait pas la même chose : il s'agit d'un véritable travail d'édition ;
- la qualité prend du temps.
- Processus éditorial :
- 8 titres c'est 8 cas particuliers, il est difficile de mettre en place des process totalement reproductibles d'un titre à l'autre ;
- problème du droit d'auteur avec ses cas particuliers, puis du dispositif ReLIRE.
- Les coûts :
- acquisition d'un exemplaire qui sera ensuite numérisé, ou recherche d'un fichier si le titre a déjà été numérisé ;
- rémunération de la préface : 150 euros ;
- numérisation, océrisation et codage : réalisés et pris en charge par le CLEO ;
- relecture et correction : 130-140 euros pour 100 000 signes ;
- mise en ligne : éditeur ;
- suivi éditorial : éditeur également ;
- mise en page : 3 euros par page ;
- impression : entre 1 000 et 1 200 euros pour 250 exemplaires ;
- publicité et diffusion : éditeur.
En terme de nombre de ventes :
- 20-50 ventes numériques par titre et par an ;
- 100-150 ventes papier par an ;
- une dizaine d'abonnements pour les bibliothèques ;
- plus de 4 000 vues en ligne pour certains titres ;
- bilan financier : équilibre.
Questions du public
Y a-t-il une cannibalisation des ventes papier par les ventes numériques ?
Patrick Tillard, responsable d'ENS Éditions : il n'y a pas de cannibalisation entre les ventes numériques et papier, et il n'y a pas non plus de cannibalisation entre les ventes papier ou numériques et l'accès libre.
Pierre Mercklé : la consultation gratuite en ligne est largement rentabilisée (4 000 à 5 000 consultations par an), c'est une bonne chose.
Les objectifs sont-ils remplis à la fois pour l'éditeur et pour le directeur de collection ?
Patrick Tillard, responsable d'ENS Éditions : oui, l'objectif est rempli puisque les versions imprimées sont distribuées, achetées et donc disponibles (principalement en bibliothèques universitaires).
Pierre Mercklé : il faut également prendre en compte le caractère expérimental du projet. Cette aventure humaine permet de rassembler.