Retour sur la journée : coopération entre bibliothécaires et médiateurs du territoire pour accompagner la parentalité

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Les 25 participantes, bibliothécaires et coordinatrices/responsables du secteur socio-éducatif, ont participé à la journée coordonnée par l'ABF Auvergne et Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture à la médiathèque du centre Léon Boyer de Murat, le 18 juin 2024.

Accueil

Ouverture de la journée par Julia Morineau-Eboli, présidente ABF Auvergne et membre du conseil d'administration d'Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture, et Juliette Boutin, chargée de mission EAC et Bibliothèques pour Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture pour :

  • remercier Cécile Brégiroux de son accueil à la médiathèque de Murat,
  • remercier les partipantes de leur présence,
  • remercier les intervenantes,
  • rappeler la co-contruction de cette journée et le programme.

Ouverture

« Le livre et la littérature, pierre angulaire de la relation enfant-parent » par Sophie Ignacchiti, psychologue, docteure en psychologie, petite enfance et littérature jeunesse

De ses premières découvertes sensorielles avec l’album jeunesse au plaisir de la lecture, le livre est un objet précieux dans le développement et l’éveil de l’enfant, et ce dès ses premières années jusqu’au passage sensible au stade de jeune adulte. Objet du « être ensemble », l’album et la littérature ont une place particulière dans le lien parent/enfant. Il est ici question d’attachement, de transmission, de temps passé ensemble…

  • Comment l’album et la littérature nourrissent-ils la parentalité ?
  • Comment la littérature offre-t-elle un espace possible pour les histoires… son histoire ?
  • Et comment de notre place professionnelle peut-on accompagner ou soutenir ces rencontres autour du livre ?

Le premier constat : le rapport au livre est fortement variable d'une famille à une autre. Cette histoire de rapport commence dès la présence ou l'absence de livre à la maison. Sachant que pour près d'un quart des enfants accueillis en crèche (qui représentent 60% des enfants, les autres ayant d'autres modes de garde), il n'y a pas de lecture partagée au sein de l'environnement familial. Les motivations des parents :

  • "Il est trop petit", entendu comme "il ne peut pas comprendre sans avoir le langage".
  • "Je n'ai pas le temps", entendu comme "ce n'est pas une priorité".
  • "Je n'aime pas lire", entendu comme "le livre, c'est l'école, et je n'en ai pas de bons souvenirs".
    On a tous un rapport au livre ancré en nous-même qui va venir forger le rapport à la lecture : dans quel espace on aime lire, à quelle fonction cela nous mène, quels souvenirs cela évoque... Pour certains, le livre entre dans la vie avec l'école, ce qui va colorer le rapport à la lecture "obligatoire" et l'éloigner de la lecture plaisir, de la lecture gratuite, c'est-à-dire sans enjeu de réussite.

Claude Ponti
Anne-Marie Garat Le livre, contrairement à d'autres objets, a besoin d'un médiateur adulte. L'enfant petit ne peut pas l'appréhender seul. La lecture partagée est offerte avec le livre qui devient ainsi une histoire. Dans la lecture, la position en côte à cote ou sur les genoux, va créer une relation d'attachement sécurisée pour l'enfant à l'adulte et va lui permettre d'explorer le monde en toute tranquilité. On parle alors de « lecture physique propice ». Sophie Marinopoulos parle de « santé culturelle » : l'inscription de la culture dès le plus jeune âge chez l'enfant nourrit la relation à l'autre. Elle parle de malnutrition culturelle, quand l'enfant n'y a pas accès. Vient alors la question de la disponibilité du parent qui devient de plus en plus cruciale dans ces temps d'accélération.

La mélodie des histoires : c'est d'une certaine façon la part bébé de chacun d'entre nous qui ressort lors de la lecture en reproduisant ce qu'on a aimé enfant. La lecture vient assurer la relation parent-enfant, par une attention conjointe, dans une position d'égal à égal, en étant ensemble, cote à cote, et en même temps ouvert sur un ailleurs, sur un monde autre.

« Dans l’acquisition du langage, la fonction référentielle est primordiale : l’enfant va établir un rapport entre l’activité langagière et le monde. Il parle de « l’attention conjointe », c'est-à-dire que les parents désignent avec les gestes, un objet-cible. Cela va permettre à l’enfant par répétition, d’associer de manière stable un objet et un signifiant. » Jérôme Bruner (psychologue américain du 20ème).

Les temps de lecture partagés vont diminuer avec l'autonomisation de l'enfant dans la lecture. Sauf que cette lecture partagée par les deux parties (lecteur et écoutant) est justement partagée, contrairement à la lecture dite solitaire qu'on peut proposer aux jeunes lecteurs. Dans la lecture à haute voix, on partage non seulement un texte et une posture, mais aussi un rythme qu'on impose à l'autre et qui sera différent d'un lecteur à l'autre. Chacun lit avec ses propres émotions qui s'expriment par la musicalité des mots.
Jeanne Ashbé
Lecture solitaire, jusqu'à un certain point. À l'adolescence, la lecture partagée risque de se compliquer (moi/je) mais le jeune ne sera jamais tout seul : ce qu'il lui a été transmis dans sa plus jeune enfance, va modifier sa lecture (si le parent veut absolument qu'il lise par exemple). Sachant que la question fondamentale reste de savoir pour qui on fait les choses : pour soi ou pour les autres ?

La lecture plaisir.
Pour beaucoup d'adultes, le livre a une fonction pédagogique, en particulier par le rôle de l'école. Dans une bibliothèque, un enfant doit pouvoir se sentir libre dans son choix de lecture plaisir et l'adulte doit accepter le choix de l'enfant, quel que soit son âge, son niveau de lecture et ses capacités. Pour le parent, le livre est souvent synonyme de connaissances, alors même que l'apprentissage se fait mieux par plaisir que dans la contrainte. Mais là encore, la lecture plaisir n'existe pas chez tous les adultes, comment la proposer alors aux enfants ? Il faut remettre en marche la «capacité d'émerveillement» de l'adulte pour lui faire éprouver à nouveau le plaisir de la lecture et transformer (ou former) son rapport au livre.
L'album jeunesse a en cela un rôle primordial car il n'a pas d'âge, il parle à tout le monde et de façon différente. Le livre-jeu (type Où est Charlie) dans lesquels il y a peu de lecture a la faculté de ramener à la lecture et de limiter la frontière entre livre et jeu pour passer d'un espace à l'autre.
Attention à la marche de progression qu'il est capital de respecter pour ne pas se voir exposer à une opposition. L'important étant de nourir le sentiment de compétences chez le lecteur. En reconnaissant la temporalité de l'enfant qui lui est propre, ses choix à lui, peut alors s'instaurer une relation de confiance.

Trois mots pour accompagner au mieux l'enfant et son parent vers la lecture :

  • Proposer : car il est difficile d'« aller vers ». Créer un mouvement à l'image des balades contées en créant un mouvement pour donner voir et aller vers les familles.
  • Valoriser : en particulier pour les professionnels de la petite enfance qui font de la lecture quotidienne aux enfants mais ne le valorisent pas.
  • Soutenir : ce qui existe déjà. Soutenir les parents par rapport à là où ils en sont : penser à dire aux parents de prendre un livre pour eux, leur rappeler de s'autoriser à être soi-même lecteur car l'enfant apprend en miroir.

Pour aller plus loin
« Pages en partage - Pour nourrir les liens enfants-parents »
Lis avec moi – Promouvoir les lectures partagées à voix haute et l'album jeunesse

Trois présentations courtes et inspirantes

RERS : Réseau d'Échanges Réciproques de Savoirs, Fanny Defond, présidente

Le principe de RERS est d'accueillir des familles autour de sujets liés à la parentalité lors de temps d'ateliers appelés "Instant parents". Ces ateliers se déroulent à la médiathèque de Murat où les familles peuvent découvrir ainsi l'usage de l'établissement.

Bas les pattes, par Fabienne Dupré, directrice de la lecture publique du Haut-Lignon.

Projet multi partenarial sur la parentalité avec la Communauté de communes du Haut-Lignon, Réseau Pays-Lecture (43 Haute-Loire + 07 Ardèche) et de nombreux acteurs :

Contractualisation et partenariats

Ce projet a donné lieu à de nombreux rendez-vous d'éducation artistique et culturelle décliné par la communauté de communes du Haut-Lignon de février à avril 2024 :

Les rendez-vous

Quelques retours en lien :

La restitution basée notamment sur les rencontres avec les auteurs de Les bisous interdits de Mélanie Limouzin, illustré par Joèl Relier

REAP (Réseau parentalité Cantal), par Kirsten Blachetta, animatrice du réseau.

L'objectif du réseau est de travailler main dans la main avec les parents et les professionnels pour remettre du lien entre eux.

Deux étapes :

  • écouter les besoin des parents, les rencontrer si possible chez eux plutôt que dans un bureau où la parole est moins libre,
  • une fois la confiance acquise, les orienter et les mettre en lien avec les professionnels.

Si les parents en ont envie : participer aux groupes de travail mis en place sur différentes thématiques pour réfléchir ensemble (par exemple sur les familles recomposées, le post partum, la posture du parent d'adolescent...).

Visite de la bibliothèque de Murat

Présentation du "Raconte tapis" par la Médiathèque départementale du Cantal.
Pour aller plus loin sur le raconte tapis

Intervention « Accompagner la parentalité numérique »

par Laure Deschamps, auteure et experte de la médiation numérique culturelle, fondatrice de la Souris Grise, intervention en visio conférence

Qu'est-ce que la parentalité numérique ? Et quels messages et conseils transmettre aux parents ? À l'heure du tout-écran, les professionnels de la culture ont un rôle particulier à jouer, pour inviter à des usages numériques adaptés et diffuser auprès des familles des ressources narratives, poétiques ou ludiques de grande qualité. Car les mondes numériques cachent des œuvres et narrations méconnues des médiateurs et des parents.

Depuis 2016 et sur demande des parents, la Souris grise a réfléchi à la question de la parentalité numérique.

Le discours actuel officiel est clair : les écrans = danger. Avec les rapports d'experts à l'appui, les médias répètent le discours officiel.

En France, où on aime légiférer, deux lois existent :

Et deux lois sont en cours :

L'image des écrans est double et contradictoire pour tout le monde :

  • Postive : réjouissant, ludique, utile, lien social, apprentissage...
  • Négative : envahissant, conflictuel, solitude, inquiètant, addiction...

Il est important de prendre de la distance pour prendre conscience, notamment de ses pratiques d'adulte (chambre déconnectée par exemple). Si on maîtrise ses propres usages on saura mieux en parler à ses enfants/à son public.

Mais pourquoi un tel rapport au smartphone ? Pour le sentiment de pouvoir qu'il permet d'éprouver.

Quelques chiffres

  • La France est une société très équipée : Environ 10 écrans par foyer
  • le 1er smartphone s'acquiert aujourd'hui à 9/10 ans

Mais il faut aussi comprendre les parents dont l'environnement numérique est très différent de celui de leur enfance. Un parent a comme modèle le modèle éducatif qu'il a reçu, en l'occurence aucun d'entre nous n'a de référence sur la gestion du numérique. Au contraire, la révolution des usages numériques se fait chez les parents comme chez les enfants et en même temps, ce qui ne permet pas aux parents de prendre du recul et d'accompagner leur enfants.

Par dessus cela, et contre toute attente, les débats d'expert n'aident pas à faciliter la compréhension. Il y a beaucoup de diabolisation et d'interdiction en particulier en France, avec deux types de messages contradictoires en permanence :

  • Les parents d'aujourd'hui sont des parents d'entre-deux (sans repère)
  • Ils souffrent de l'ambivalence parentale face aux pratiques et aux contenus : on offre un vélo adapté à l'âge d'un enfant, mais on n'oublie cette règle en ce qui concerne le numérique.

Ce dont on est certain, c'est qu'il n'y a pas de vérité sur le sujet et très peu de consensus scientifique. Sauf sur deux points : l'impact du numérique est négatif pour la vue et le sommeil. Deux études récentes sur la petite enfance :

  • L’impact des écrans sur le développement de l’enfant dépend de l’environnement familial et du mode de vie, selon une étude menée par des Français, dirigée par Jonathan Bernard, du centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Inserm)
    • Le contexte d’utilisation des écrans jouerait un rôle important, sans doute plus que le seul temps passé devant les écrans.
    • L’impact sur le développement cognitif baisse de 40 % à 80 % une fois le poids des facteurs familiaux pris en compte, et de 10 % à 20 % supplémentaires une fois les autres activités de l’enfant également considérées.
  • Qu’ils soient positifs ou négatifs, l’impact des usages de écrans sur le développement cognitif des enfants sont d’intensité « faible à modérée », selon la méta-analyse (étude de 2451 études) conduite par Taren Sanders,chercheur australien avec une équipe internationale.

Et en ce qui concerne l’apprentissage : l’usage des écrans en général, de la TV en particulier, ainsi que des jeux vidéo, baisse les capacités d’apprentissage. En revanche, les livres numériques narratifs, les programmes interactifs ou en réalité augmentée sont associés à une augmentation de ces capacités. C’est aussi le cas en ce qui concerne l’apprentissage du calcul, non seulement des outils éducatifs numériques, mais aussi des jeux vidéo impliquant des opérations avec les nombres.

Le principe est clair : pas d'écran non accompagné avant 3 ans et même avant 6 ans. D'ailleurs, même à l'adolescence il faut un parent qui rappelle les règles d'utilisation, qui partage des temps ensemble sur des ressources choisies par exemple et sur un temps défini.

Tous ces points d'attention sont résolubles par une éducation simplement attentive et une attention dédoublée à la solitude numérique des enfants. Les écrans sont intéressants quand ils sont accompagnés. La mission des parents est d'accompagner pour choisir. Deux exemples d'application :

  • Tout le contraire : application payante d'un éditeur de minibombo qui accompagne ses parutions pour jeunesse via son application)
  • Traversées : application gratuite, axée sur la poésie.

Présentation du dispositif Des Livres à soi et retour d'expérience, par Sophie Ferragne

Responsable du service itinérant à la médiathèque de St-Étienne depuis plusieurs années, Sophie Ferragne avait le souhait de mettre en place le dispositif Des Livres à soi, sur le quartier Montreynaud à St-Étienne.

Ce dispositif fonctionne grâce à des crédits fléchés de la DRAC pour le programme développé par le Salon du livre jeunesse de Montreuil depuis le début des années 2010.

Le dispositif est à sa deuxième année sur la commune de St-Étienne et ne pourra aller au-delà avec un financement DRAC (maximum de deux ans). Cela étant, et pour la troisième année, la Ville de St-Étienne va permettre de prolonger le dispositif pour un an encore au vu des résultats.

Le principe
Permettre à des parents de reprendre confiance et de décloisonner les rapports entre interventions sociales, service de dédiés à l'enfance et le livre.

Déroulé : 10 RDV dans l'année

  • un temps de formation : Le Salon du livre jeunesse de Montreuil organise deux jours de formation pour tous les partenaires en début de cycle. Ces deux journées réunissent tous les acteurs intervenants sur le dispositif (bibliothécaires, enseignants, libraires, éducateurs PMI, crèche...) afin de leur permettre de s'interroger sur leurs pratiques professionnelles et de partager leur rapport au livre. L'idée de ces deux jours étant de créer une culture commune autour de la littérature jeunesse à partager avec les familles.

  • 6 rendez-vous ateliers
    • l'occasion de présenter des ouvrages proposés par le Salon du livre jeunesse de Montreuil (qui revoit chaque année sa bibliographie) avec une scénographie très poussée et réfléchie pour une montée en puissance des ouvrages proposés,
    • durée d'environ 1h30 à 2h,
    • organisés sur le temps scolaire (pour avoir les parents sans les enfants),
    • dans la médiathèque ou dans un centre socio-éducatif...,
    • l'occasion d'échanger conviviaux autour de partage de nourriture.

  • 3 sorties culturelles : à la médiathèque, dans une librairie (chaque famille a un bon d'achat de 80€) et la dernière sortie se fait à l'automne suivant à l'occasion de la fête du livre de Saint-Étienne où les familles vont pouvoir rencontrer les auteurs.

  • un rendez-vous de clôture à l'occasion d'une journée festive au cours de laquelle est remis un diplôme de formation à la littérature jeunesse à chacune des familles.

Choix des familles

Le choix des familles visées par le dispositif est libre : il est laissé à discrétion des professionnels (PMI, enseignants, crèche).
Les critères : familles situées en quartier QPV, dont les enfants ont entre 0 et 6 ans, sans livres à la maison.
Les familles peuvent refuser. Si elles acceptent, elles s'engagent pour suivre le parcours dans sa totalité.
Sur les 40 familles, deux pères seulement l'année dernière et aucun cette année.
Les familles sont réparties sur 3 pôles pour former des groupes restreints de 12 personnes environ.

Le lien avec les familles se fait par différents canaux : un groupe WhatsApp pour communiquer, un album de famille annuel, un calendrier annuel en amont et partagé.

Et après ?

Les parents volontaires peuvent devenir ambassadeurs du dispositif. En deuxième année, quelques personnes se sont déjà présentées. Pour la troisième année, seules des ambassadeurs vont suivre la formation initiale et poursuivre ainsi le dispositif.