Ça sent (bon) 2031 ! Entretien Incontournable

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Jérôme Vincent, responsable des éditions Actusf, a accordé un entretien dystopique exclusif à l'agence Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture, à l'occasion de la parution du numéro "Incontournable" de la Revue des Éditeurs. Retrouvez ici l'intégralité de l'interview !

Ça sent (bon) 2031 !

Entretien dystopique avec Jérôme Vincent, responsable des éditions Actusf et cerveau de la révolte des éditeurs indépendants, qui ont profité des dix dernières années de confinement pour prendre le pouvoir sur la chaîne du livre.

Vous avez pris la tête de la fronde qui a conduit, durant la 14e période de confinement, à la création du Syndicat National de la Petite et Moyenne Édition (SNPME). Aujourd'hui, quelles sont les revendications de ce collectif ?

Le chemin accompli a été long et nos équipes ont travaillé durement. Nous avons notamment obtenu que La Poste transporte nos livres gratuitement et que, désormais, chaque commune soit dans l’obligation de financer l'ouverture d'une librairie. Mais nos métiers restent difficiles. Je crois qu'un bon signal serait sans doute un crédit d'impôt sur les achats de café et de thé au sein de nos maisons d'édition. Ce sont des éléments essentiels à notre bon fonctionnement.

Les Petits et Moyens Éditeurs ont récemment été reconnus comme "artisans essentiels", pensez-vous que cela les aidera à conforter leur nouvelle position dominante sur le marché du livre ?

Disons que cela change un peu la donne. Se dire que la culture est quelque chose d’essentiel à nos vies est à la fois une évidence et une confirmation. C’est vrai que, pour être "essentiels", nous avons dû intégrer des tranches de fromage, de jambon et d’autres aliments dans chacun de nos livres. Mais j’ai vu la semaine dernière à Chambéry une pièce de théâtre autour de Shakespeare et du reblochon, et franchement, voir Richard III déguster une tartiflette ne dénature absolument pas le texte de l’auteur. Je vais vous dire, notre plus gros défi maintenant, c’est de travailler avec les producteurs alimentaires pour rester "essentiels". Mais les libraires, eux aussi, ont su ouvrir d’autres rayons – la charcuterie, les primeurs – pour rester attractifs. On doit donc pouvoir y arriver.

Le Syndicat National des Gros Géants de l’Édition (SNGGE) réclame l'instauration d'un quota pour permettre le maintien de quelques titres sur les tables des libraires indépendants. Qu'en pensez-vous ?

C’est une question difficile parce que je connais certains gros géants éditeurs qui n’ont pas su prendre le virage du livre alimentaire et, plus globalement, de la société. Tenez, notre dernier livre est vierge une page sur deux. De ce fait, il passe en papeterie, c’est-à-dire en "bien essentiel". Il est vrai qu’une partie des membres du SNGGE n’ont pas été assez agiles pour s’adapter assez vite. Mais bien entendu, nous sommes prêts à discuter avec leurs représentants et à leur tendre la main, comme ils ont su le faire avec nous pendant des années. Je crois savoir, par ailleurs, que le Syndicat des Fromagers Libraires (SFL) est aussi prêt à discuter. Tous ensemble, comme me le disait récemment l’un de mes romanciers-vignerons, on doit pouvoir trouver un système qui ne laisse personne sur le bord de la route.

Et que pensez-vous de la Guilde des auteurs qui s'associe au groupe Sfarr Ltd pour demander l'interdiction des rencontres virtuelles et obtenir du nouveau géant du livre, AmaZoom, le paiement d'importants dommages et intérêts ?

C’est un premier pas. Allez, rêvons un peu ! Imaginons qu'Amazoom paye ses impôts en France... Et pourquoi pas, puisqu'ils ont des métiers difficiles et précaires, attribuer ces impôts collectés aux auteurs et à tous les créateurs ? Ce serait faire bénéficier l'humain du système qui nous déshumanise. Une forme de pied de nez.

Le titre de l'un des romans emblématiques de votre maison, Le Club des punks contre l'apocalypse Zombie, est devenu le symbole de la révolte des PME au moment du 14e confinement. Aujourd'hui que nous vivons en harmonie avec le virus, pensez-vous que le Club des Punks, dont vous êtes un des leaders, a définitivement triomphé des Zombies qui ont conduit le monde du livre à l'apocalypse ?

Je crois, comme le dirait Ariel Kyrou dans son ouvrage Dans les Imaginaires du futur, que nous avons parfois un désir d'apocalypse et qu'il faut vivre avec une fois qu'elle est arrivée, et faire preuve de résilience. Le zombie, quelque part, c'est nous, c'est ce que nous sommes, à la fois l'aboutissement de nos vies et l'état duquel nous devons nous extraire. C'est ce que nous enseigne Karim Berrouka avec Le Club des punks contre l'apocalypse Zombie. De l'anarchie naîtra une société littéraire plus respectueuse de tout le monde...

Pensez-vous que l'imaginaire, maintenant qu'il est au pouvoir dans le monde du livre, reste un concept éditorial pertinent ?

Je crois que l'imaginaire n'en a jamais terminé d'être subversif. À nous, qui avons désormais la position dominante, de rester en phase avec le monde, d'imaginer, d'oser d'autres choses, mais en respectant toujours l'ensemble de la chaîne du livre et en faisant en sorte que chacun puisse vivre dignement de son métier. Sinon, d'autres seront subversifs à notre place... Et d'autres défis nous attendent. Nous pensions que Dans L'ombre de Paris, de Morgan Of Glencoe, était une fiction. Or, l’arrivée dans nos vies et dans nos rues des fées telles que décrites dans ces pages nous oblige à repenser le monde avec elles, avec une richesse supplémentaire ! Le futur est plein de promesses.

Enfin, d’un point de vue plus personnel, comment faites-vous pour concilier votre métier et votre notoriété ainsi que les incessantes sollicitations médiatiques suite au récent engouement des Français pour les PME ?

Ce n'est pas simple mais j'ai eu une discussion franche avec Sylvain Tesson et Amélie Nothomb, qui sont assez contents d'avoir plus de temps libre et qui m'aident à m'organiser. Vous imaginez, 228 invitations sur France Inter pour Sylvain Tesson en 2030... Voilà quelqu'un qui maîtrise les soucis d'agenda !

Propos recueillis par Laurent Bonzon

Revue Éditeurs n° Incontournable

Retrouvez le dernier numéro de la revue à la page suivante : Incontournable, le 3e numéro de la Revue Éditeurs !.