La citation, exception aux droits patrimoniaux de l’auteur
Qu’elles soient citées ou « citantes », les œuvres écrites de tout genre sont le terrain de prédilection des citations. Mais l’emprunt des bons mots d’un auteur n’est pas totalement libre. En effet, chaque auteur détient sur son œuvre, d’une part, des droits moraux attachés à sa personne et, d’autre part, un monopole d’exploitation constitué des droits de reproduction et de représentation de l’œuvre dont il peut seul autoriser l’usage à des tiers. L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle consacre toutefois plusieurs exceptions aux droits patrimoniaux exclusifs reconnus à l’auteur sur son œuvre, parmi lesquelles l’exception de courte citation.
En vertu de cette exception, lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut pas interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source. Il n’est dans ce cas pas nécessaire de demander l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit, ni même de les informer de cette citation. Par ailleurs, la loi pose le principe général selon lequel les exceptions légales ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
La citation est le plus souvent utilisée dans le domaine des œuvres de l’écrit, qu’il s’agisse d’œuvres purement littéraires ou d’ouvrages scientifiques ou de sciences humaines, mais elle peut concerner également les œuvres musicales ou cinématographiques. Les conditions à remplir rendent en revanche sa mise en œuvre difficile pour des œuvres des arts plastiques. Afin de pouvoir être citée, une œuvre doit auparavant avoir été divulguée, c’est-à-dire communiquée au public par son auteur. L’auteur d’un ouvrage dans lequel étaient reproduits plusieurs passages du mémoire d’une professeure d’université a ainsi été très récemment condamné par la Cour d’appel de Paris pour contrefaçon, car le bénéfice de l’exception de courte citation ne lui a pas été accordé pour défaut de divulgation de l’œuvre première. En effet, le mémoire cité n’avait pas fait l’objet d’une publication, n’était pas référencé dans des bibliothèques et avait seulement été communiqué, à titre confidentiel, à l’appui de la candidature de son auteure à la qualification aux fonctions de professeur des universités.
« Une citation sans références est à peu près aussi utile qu’une horloge sans aiguilles », Paul Desalmand, S.O.S. Citations, LEDUC.S Éditions, 2008.
La loi impose d’indiquer expressément le nom de l’auteur et la source de la citation. En matière littéraire, il est concrètement préconisé d’identifier formellement, d’une part, la citation elle-même par des guillemets et d’autre part, son origine par la mention du nom de son auteur, de l'éditeur, de la date et éventuellement du quantième de l'édition citée. Il a en effet été jugé que la seule indication du nom de l’auteur ou un renvoi général à la fin de l’ouvrage étaient insuffisants. Si la citation provient d’un article de presse, le nom du support de presse et sa date, ainsi que le nom de l’auteur de l’article s’il est connu sont nécessaires.
« La citation est à la littérature ce que la rondelle est au saucisson », Daniel Picouly, Le Cœur à la craie, Grasset, 2005.
Seule la courte citation est susceptible de faire exception au droit de l’auteur. La citation doit donc être limitée et proportionnée tout d’abord par rapport à l’ampleur de la citation elle-même. Il est en effet constant que la reproduction intégrale d’une œuvre ne peut constituer une courte citation, de même que des emprunts répétés. La brièveté de la citation s’apprécie par rapport au volume de l’œuvre première dont elle est issue, mais aussi par rapport à celui de l'œuvre seconde dans laquelle la citation est intégrée, en tenant compte également de la nature de chacune de ces œuvres. À titre d’exemple, il a été jugé que les citations ne peuvent pas constituer un quart de l’œuvre seconde, à propos d’un ouvrage reproduisant 343 citations de discours du Général de Gaulle regroupées dans les 86 premières pages sur un total de 320 pages. De même, un extrait de film de 17 minutes, intégré dans une émission de télévision de 58 minutes, ne peut pas s’analyser comme une brève citation.
En matière d’œuvres des arts plastiques, graphiques ou photographiques, les règles ci-dessus conduisent à exclure toute possibilité de citation. En effet, l’œuvre première ne pourra pas être reproduite intégralement, même en tout petit format. Elle ne pourra pas plus être reproduite partiellement, car il y aurait alors dénaturation de l’œuvre et atteinte au droit moral de l’auteur.
« Toute citation est – au fond ou de surcroît ? – une métaphore », Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Éditions du Seuil, 1979.
Enfin, l’œuvre seconde dans laquelle est insérée la citation doit nécessairement présenter un caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information. Tel sera le cas lorsque la citation sera intégrée dans un manuel scolaire, un journal d’information, un ouvrage scientifique (qu’il s’agisse de sciences « dures » ou de sciences humaines), une thèse, un pamphlet… À l’inverse, deux décisions ont récemment rejeté l’exception de courte citation pour des extraits de chansons d’un artiste-interprète intégrés dans un livre biographique et pour des passages d’une série d’ouvrages littéraires adaptés en fiction télévisée, aux motifs que les emprunts n’étaient pas destinés à illustrer une controverse, ni à éclairer un propos ou approfondir une analyse à visée pédagogique, scientifique ou d'information, et que le tiers « citant » n’établissait pas davantage qu’ils servaient à enrichir les connaissances du public.
« L’art de la citation est donc le degré zéro du détournement », Jacques Villeglé, L’Alphabet socio-politique, Musée Sainte-Croix, Poitiers, 2003.
Enfin, si les tiers sont autorisés à utiliser limitativement les droits patrimoniaux de l’auteur sans son autorisation, ils demeurent néanmoins tenus de respecter ses droits moraux et notamment de ne pas dénaturer l’œuvre. Toute modification, suppression ou ajout réalisé sur l’extrait cité pourrait constituer une dénaturation de l’œuvre citée et porter en conséquence atteinte au droit de l’auteur au respect de l’intégrité de son œuvre. Il importe donc de respecter à la lettre le passage cité. Si ces exigences ne sont pas satisfaites, l’extrait reproduit sans autorisation de l’auteur n’entrerait pas dans le champ de l’exception de courte citation et exposerait par conséquent le tiers « citant » à une action en contrefaçon des droits de l’auteur cité.
Les liens hypertextes
La technique du lien hypertexte, base de fonctionnement du réseau Internet, permet de naviguer d’un espace à un autre sur un réseau de communication et de connecter entre elles différentes ressources accessibles par ces réseaux. En cliquant sur un lien hypertexte inclus dans une page web ou tout autre document, le lecteur a accès à une ressource présente sur le site Internet d’un tiers, et cela de différentes manières :
- le lecteur peut être redirigé vers la page d’accueil du site Internet lié (lien simple) ;
- le lecteur peut être dirigé directement vers la ressource, sur une page secondaire du site (lien profond) ;
- la ressource peut apparaître sur le site Internet auquel le lien est intégré, donnant ainsi l’impression au lecteur que cette ressource fait partie du site consulté alors qu’il se trouve en réalité sur un autre site (technique de transclusion ou « framing »).
L’édition numérique fait un usage abondant des liens hypertextes qui sont inclus dans les ouvrages et donnent accès à des ressources complémentaires telles que forums, pages Facebook, vidéos, articles…, ce qui pose la question de la responsabilité encourue par l’éditeur du fait de l’usage de ces liens.
Les liens URL reproduits dans les ouvrages imprimés sur support papier ne sont pas considérés comme des liens hypertextes puisqu’étant intégrés dans un support imprimé, ils ne permettent pas un accès direct à la ressource.
La question de l’atteinte aux droits d’auteur
Le premier aspect de cette responsabilité est la possible atteinte aux droits d’auteur afférents à la ressource vers laquelle mène le lien.
En effet, l’article 3 paragraphe 1 de la Directive n°2001/29/CE du Parlement européen du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information dispose que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement. »
Au regard de ce texte, un lien hypertexte constitue-t-il un acte de communication au public d’une œuvre ? Un auteur ou ses ayants droit peuvent-ils ainsi interdire la mise en place de lien hypertexte menant à l’œuvre ?
Le principe : le libre usage du lien hypertexte
Le principe aujourd’hui reconnu par la Cour de Justice de l’Union européenne est que la fourniture de liens hypertextes vers une œuvre librement disponible sur un site Internet est en principe libre. La Cour considère en effet que cette opération ne conduit pas à communiquer l’œuvre en question à un public nouveau, puisque le public ciblé par la communication initiale inclut l’ensemble des visiteurs potentiels du site.
Il n’est donc pas nécessaire de solliciter l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit, et cela même s’il est fait usage de la technique de transclusion, qui peut laisser croire à l’internaute que l’œuvre à laquelle il a accès par un lien hypertexte provient du site sur lequel se trouve le lien.
Les limites au principe
Ce principe trouve toutefois des limites évidentes et nécessaires à la protection des droits des auteurs.
En premier lieu, lorsqu’une œuvre protégée a été publiée sur un site Internet de manière illicite, sans l’autorisation des ayants droit, la personne qui a mis en place un lien hypertexte pointant vers cette œuvre peut voir sa responsabilité engagée au titre de la contrefaçon.
La Cour de Justice de l’Union européenne opère à cet égard une distinction :
- si les liens hypertextes ont été mis à disposition sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illicite de la publication de l’œuvre, la contrefaçon ne sera pas constituée ;
- en revanche, si les liens ont été mis à disposition dans un but lucratif, alors on attendra de la personne qui les a mis en place qu’elle fasse le nécessaire pour vérifier que l’œuvre est bien licitement publiée, et dans le cas contraire, la personne sera présumée avoir connaissance de ce caractère illicite. Les liens hypertextes intégrés à un ouvrage vendu par un éditeur doivent être considérés comme mis à disposition dans un but lucratif. Par conséquent, l’éditeur devra veiller à ce que les liens hypertextes intégrés dans ses ouvrages mènent bien vers une œuvre publiée licitement par ou avec l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit, et prendre garde notamment aux publications réalisées sur des sites agrégateurs tels que YouTube ou Dailymotion.
En second lieu, lorsque l’œuvre n’est accessible qu’à un public restreint (des abonnés par ex.), le maintien ou la mise en place d’un lien hypertexte contournant ces mesures restrictives d’accès sera considéré comme illicite.
En troisième lieu, lorsque l’œuvre n’est plus à disposition du public sur le site sur lequel elle avait été communiquée initialement, placer un lien hypertexte vers un autre site Internet sur lequel l’œuvre est publiée sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur peut mettre en cause la responsabilité de l’éditeur.
Ceci pose la question de la durée de vie des liens inclus dans les ouvrages numériques. Certains éditeurs en effet, afin d’assurer à leurs lecteurs un accès pérenne aux liens hypertextes inclus dans leurs ouvrages, les font pointer non pas vers le site vers lequel l’œuvre est publiée à l’origine, mais vers des sites d’archives. En voulant parer à la volatilité du réseau Internet, les éditeurs prennent le risque de voir leur responsabilité engagée. Un auteur peut en effet exercer son droit moral de divulgation et décider de supprimer une œuvre d’Internet, ou être tenu de le faire, et ne pas souhaiter que cette œuvre continue à être mise à disposition du public. Dans ce cas, l’éditeur pourra être poursuivi en contrefaçon pour avoir communiqué au public une œuvre sans l’autorisation de l’auteur.
La problématique des données personnelles
Cette pratique présente un autre risque dans le cas où la ressource archivée contient des données à caractère personnel puisque le maintien de la mise à disposition de ces données à caractère personnel au public pourra le cas échéant porter atteinte au « droit à l’oubli » ou au droit d’opposition dont disposent les personnes concernées par ces données.
La question de la prescription des infractions de presse
Enfin, en matière de droit de la presse, la Cour de cassation juge que l’insertion d’un lien hypertexte menant vers un texte antérieurement publié vaut nouvelle publication de ce texte, et fait donc courir à nouveau le délai de prescription de l’action en diffamation à l’encontre de la personne qui a procédé à la publication du texte.
On le voit, l’usage de liens hypertextes dans les ouvrages numériques doit faire l’objet d’une vigilance particulière.
© Albane Lafanechère et Nelly Throo, avocats, septembre 2018, pour Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture.
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© pictogramme : Justice by kinsley from the Noun Project