De la TVA et du livre

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Enjeu important pour les éditeurs comme pour les libraires, et de façon plus large pour la filière du livre dans son ensemble, la TVA sur le livre a fait l'objet de nombreux débats ces dernières années, notamment lorsqu'il a été question de numérique et d'harmonisation au sein de l'Union européenne. Où en est-on aujourd'hui ?

Qu’est-ce que la TVA ?

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt indirect sur les dépenses de consommation. Elle est supportée par le consommateur final et collectée par les entreprises qui participent au processus de production et de commercialisation, qui la reversent ensuite à l’État. Le montant de la taxe est proportionnel au prix de vente hors taxe (HT). La TVA a été mise en place progressivement en France à compter de 1954. Elle a rapporté environ 157 milliards d’euros en 2014, soit près de la moitié des recettes fiscales de l’État. Il existe plusieurs taux de TVA différents en fonction de la nature du produit ou du service vendu. Il a été convenu que certains produits ou services, qui répondent à des besoins de la vie quotidienne, doivent supporter un taux de TVA réduit, ce qui diminue d’autant le prix au consommateur final. Le taux de TVA standard, qui a fluctué au cours des années entre 16,6 et 23% s’établit aujourd’hui à 20%.

La TVA à taux réduit sur le livre (papier)

Le livre, en tant que marchandise, bénéficie d’une TVA à taux réduit, qui a évolué au cours des années, passant de 5 à 7 puis à 5,5%. Ce taux réduit de la TVA sur les livres est en 2017 de :

  • 5,5 % en France continentale ;
  • 2,1 % en Corse, Guadeloupe, Martinique et à La Réunion.

Ce taux concerne les opérations suivantes :

  • les ventes de livres par les éditeurs, libraires, etc. ;
  • les ventes directes d'exemplaires par l'auteur lui-même (auto-édition, activité d'auteur-éditeur, édition dite à compte d'auteur) ;
  • les activités de location de livres.

Le taux normal de 20% reste quant à lui applicable aux publications (livres, journaux, revues) qui, en raison de leur caractère pornographique ou violent, sont interdites de vente aux mineurs, d'exposition à la vue du public ou de publicité.

Par ailleurs, le taux intermédiaire de 10% est applicable aux cessions de droits patrimoniaux par les auteurs des œuvres de l’esprit – ainsi les rémunérations versées par un éditeur à un auteur dans le cadre d’un contrat d’édition sont soumises à ce taux –, ainsi qu’aux cessions de droits portant sur les livres, telles que des cessions de droits d’auteur intervenant entre deux éditeurs).

Définition du livre au sens fiscal du terme

Pour être considéré comme un livre au sens fiscal du terme, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :

  • être un ensemble constitué d’éléments imprimés, publié sous un titre ;
  • reproduire une œuvre de l’esprit en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture ;
  • ne pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué ;
  • ne pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur. En pratique, cela signifie que l’ouvrage :
  • doit comporter une partie rédactionnelle suffisante permettant de conférer à l’ensemble le caractère d’une œuvre intellectuelle, ou
  • témoigner d’un apport éditorial caractérisé par la recherche, la sélection et la mise en forme de données, conférant à l’ensemble une homogénéité et une cohérence globale.

L'ensemble ne doit pas contenir plus du tiers de la surface totale en publicités et en blancs intégrés au texte.

À titre d’exemple, sont considérés comme des livres :

  • les dictionnaires et encyclopédies ;
  • les livres d'enseignement ;
  • les livres d'images ou de bandes dessinées, avec ou sans texte ;
  • les guides culturels et touristiques ;
  • les atlas et cartes géographiques ;
  • les recueils de photographies, les ouvrages artistiques, y compris les catalogues d’exposition ;
  • les ouvrages de cotation comportant un aspect rédactionnel ou éditorial réel ;
  • les formulaires et répertoires scientifiques, juridiques ou culturels ;
  • les méthodes de musique, livrets ou partitions d'œuvres musicales pour piano ou chant, ouvrages d'enseignement musical et solfèges.

Les albums et livres de coloriage sont réputés satisfaire au critère concernant l’importance relative des espaces à compléter et sont donc soumis au taux réduit, sous réserve qu’ils se présentent comme des livres et conservent cette présentation à l’usage.

En revanche, les catalogues et les albums d’images à découper ou à coller ne sont pas considérés comme des livres.

Les tribulations de la TVA sur le livre numérique

Tous les pays membres de l’Union européenne sauf le Danemark et la Bulgarie appliquent un taux de TVA réduit sur le livre papier, comme cela est autorisé par la Directive TVA du 11 décembre 2006. Une directive du 5 mai 2009 a étendu la possibilité pour les états membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres « sur tout type de support physique », ceci aux fins de s’adapter à l’évolution technologique et inclure les supports physiques numériques.

Considérant qu’un livre est un livre, quel qu’en soit le support, la France est allée plus loin, et a adopté une loi, à effet au 1er janvier 2012, selon laquelle le taux réduit de TVA de 5,5% s’applique aux livres numériques sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement, comme l’ont fait aussi le Luxembourg et l’Italie.

En 2013, la Commission européenne a introduit un recours en manquement à l’encontre de la France, que la Cour de Justice de l’Union européenne a accueilli. Dans son arrêt du 5 mars 2015, la Cour considère en effet que les livres au format électronique fournis par voie de téléchargement ou de diffusion en flux (streaming) ne constituent pas des livres fournis sur un support physique dès lors que si « le livre électronique nécessite, aux fins d’être lu, un support physique (comme un ordinateur), un tel support n’est cependant pas fourni avec le livre électronique ». La Cour considère par ailleurs que la fourniture de livres électroniques constitue une fourniture de services et non une livraison de biens, et rappelle que la Directive TVA exclut l’application d’un taux réduit pour la fourniture de services par voie électronique. Aucune sanction n’a toutefois été prononcée à l’encontre de la France, qui a perpétué, dans ses lois de finances successives, l’application du taux de TVA réduit de 5,5% aux livres numériques.

La vision de la Commission européenne a quant à elle évolué suite au lobbying notamment de la Fédération des Éditeurs européens (FEE) et du Syndicat national de l'édition (SNE). Le 25 juillet 2016, la Direction Générale de la Fiscalité de la Commission européenne a lancé une consultation publique sur la TVA portant spécifiquement sur les taux réduits pour les publications numériques (livres, journaux et périodiques). Le 1er décembre 2016, la Commission européenne a publié une proposition de directive qui accorde à l’ensemble des états membres la possibilité d’appliquer aux publications électroniques les mêmes taux de TVA réduits que ceux appliqués aux publications imprimées. Le Parlement européen, consulté sur cette proposition, l’a approuvée le 1er juin 2017. Le Conseil européen doit désormais adopter la directive. Le taux réduit de TVA pour le livre numérique au niveau européen sera donc bientôt une réalité juridique.

Livre numérique, livre audio, offres composites, quelle TVA appliquer ?

En France, l’Administration fiscale considère le livre numérique comme un livre « homothétique », qui ne diffère du livre imprimé que par quelques éléments nécessaires inhérents à son format, tels que les variations typographiques et de composition ainsi que les modalités d'accès (moteur de recherche associé, modalités de défilement ou de feuilletage du contenu). Les ouvrages qui ne sont édités que sous forme numérique par des éditeurs pure players sont soumis au taux réduit sous réserve de répondre à ces conditions. Si un ouvrage numérique (disponible sur un support physique tel que clé USB ou Cédérom ou en ligne) contient des fonctionnalités qui n'existent pas dans les éditions papier et qui ne peuvent être considérées comme des éléments accessoires propres au livre numérique, alors il sera soumis au taux de TVA normal. Ainsi, le livre numérique « enrichi » ne serait pas inclus dans cette définition, et le Syndicat national de l'édition milite pour élargir la définition du livre numérique.

La fourniture de livres audio, qui s’entendent comme des ouvrages dont la lecture à haute voix a été enregistrée sur un disque compact, un cédérom ou tout autre support physique similaire, et dont le contenu reproduit, pour l’essentiel, la même information textuelle que celle contenue dans les livres imprimés, peut bénéficier du taux réduit de la TVA.

Dans le cas où des produits soumis à des taux de TVA différents (tels que livre et DVD) sont vendus ensemble et font l’objet d’une facturation globale et forfaitaire, chacun des produits reste soumis au taux qui lui est propre. Il appartient au redevable de la TVA de ventiler les recettes correspondant à chaque taux, de manière simple et économiquement réaliste, sous sa propre responsabilité et sous réserve du droit de contrôle de l'administration. À défaut d'une telle ventilation, le prix doit être soumis dans sa totalité au taux le plus élevé.

Livre et e-commerce

Les règles applicables en matière de TVA pour les transactions entre un vendeur français et un acheteur d’un pays membre de l’UE diffèrent selon la nature de la transaction, la nature des biens ou services concernés et le statut du client. Si le client est un professionnel – cas très peu fréquent en matière de ventes de livres à distance –, un mécanisme d’auto-liquidation pourra être applicable sous réserve que certaines conditions soient réunies (que le livre soit édité sur papier ou sur support électronique). Dans ce cas, la TVA ne sera pas appliquée par le vendeur. Pour la vente aux clients particuliers, la TVA s’applique selon les conditions suivantes :

  • Vente de livres papier à l’étranger

Pour les ventes à distance de biens tels que les livres papier dans l’Union européenne (par internet ou par correspondance), le lieu d’imposition de la TVA est l'endroit où le bien se trouve au moment du départ de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur. Ainsi, la vente par un libraire établi en France de livres papier expédiés de la France vers le pays de l’acquéreur sera soumise à la TVA française. Cette règle est applicable à condition que le montant annuel des ventes à destination d’un État membre ne dépasse pas un certain seuil fixé à 100 000€ en principe. Chaque pays membre peut toutefois choisir de l’abaisser à 35 000€, seuil que la plupart des états membres ont fixé en pratique. Lorsque le seuil est dépassé, la TVA due est celle de l’État de situation du client. Le vendeur peut toutefois opter pour l’application de la TVA de l’État de situation du client, et ce même si le seuil n’est pas dépassé.

  • Vente de livres numériques à l’étranger

La vente de livres numériques par téléchargement ou en streaming est considérée par la Commission européenne comme une fourniture de services. Depuis le 1er janvier 2015, la TVA portant sur de telles fournitures de services est due au lieu d’établissement du preneur, contrairement au régime applicable antérieurement, qui prévoyait l’application de la TVA au lieu d’établissement du prestataire. Ceci afin de freiner l’optimisation fiscale des entreprises de vente en ligne, qui établissent leur siège dans des pays pratiquant les taux de TVA les plus bas. Ainsi, la fourniture de livres numériques par un libraire français à un particulier établi dans un pays membre est soumise à la TVA de ce pays. Un mini guichet unique de TVA (dit « MOSS » pour Mini One Stop Shop) a été mis en place pour faciliter les opérations.

  • Les mesures de simplification à venir

Les États membres de l’UE, par le biais du Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin), ont adopté le 5 décembre 2017 un certain nombre de mesures en matière de TVA sur les ventes en ligne dont la mise en place sera progressive. Un seuil de chiffre d’affaires annuel de 10 000€ a notamment été fixé en deçà duquel c'est la TVA du pays de situation du vendeur qui sera due. Les règles seront en outre simplifiées pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 10 000 et 100 000€. Ces nouvelles règles entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2019.

© Albane Lafanechère, avocat, décembre 2017, pour l'Arald.

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