Livre, un cadre légal en mutation

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Le point sur les changements de l'environnement juridique de la chaîne du livre.

Le cadre légal du secteur du livre a évolué ces dernières années, tant au niveau national qu’européen. Accords entre syndicats et groupements professionnels, nouveaux accès, mutations des usages, numérique, fiscalité et législation européennes, autant de dossiers qui ont impacté et vont impacter l'environnement juridique de la chaîne du livre. Un récapitulatif pour faire le point sur le sujet.

L’accord interprofessionnel conclu le 29 juin 2017 entre le Syndicat national de l’édition (SNE) et le (CPE) concerne deux sujets spécifiques :

  • La provision pour retours, pratique généralisée chez les éditeurs qui consiste, lors de la reddition des comptes, à retenir un pourcentage des droits pour tenir compte du droit de retour des ouvrages par les libraires. L’accord autorise cette pratique, sous réserve qu’elle soit prévue au contrat d’édition qui doit déterminer le taux et l’assiette de la provision, ou à défaut ses modalités de calcul. La provision et ses modalités de calcul doivent figurer à l’état de compte adressé par l’éditeur à l’auteur. Chaque année, la provision figurant au débit du compte de l’année précédente doit être créditée intégralement, et une nouvelle provision peut être constituée. La provision pour retours ne peut être pratiquée au-delà des 3 premières redditions de comptes annuelles suivant la publication, sauf remise en place significative de l’ouvrage. L’accord accorde aux éditeurs un délai de 3 mois, soit jusqu’au 29 septembre 2017, pour se mettre en conformité avec ces obligations qui concernent tous les contrats d’édition, même ceux conclus avant le 29 juin 2017 ;

  • La compensation intertitres : elle est interdite par l’accord qui pose le principe selon lequel les droits issus de l’exploitation de plusieurs titres du même auteur régis par des contrats d’édiction distincts ne peuvent être compensés entre eux. Il y a néanmoins une exception pour les à-valoir non couverts, sous réserve de faire l’objet d’une convention séparée du contrat d’édition, avec l’accord formellement exprimé de l’auteur. Cette disposition ne concerne que les contrats conclus après le 29 juin 2017. Notons toutefois que cet accord interprofessionnel n’a pas fait l’objet d’un arrêt d’extension à toute la profession, contrairement à celui du 1er décembre 2014. Par conséquent, selon une jurisprudence établie, il n’a pas de caractère impératif dans les relations entre un éditeur et un auteur, sauf s’il y est fait référence dans le contrat conclu, ou si les parties en font volontairement application entre elles.

Points en cours et à l’agenda des discussions entre le SNE et le CPE :

  • Réalisation d’un modèle de document de reddition des comptes, listant et explicitant les éléments devant être inclus a minima.

  • Clause d’audit permettant aux auteurs de provoquer un contrôle de la réalité des ventes.

La loi 2016-1321 pour une République numérique, en date du 7 octobre 2016, introduit deux nouvelles exceptions au droit d’auteur :

  • Les copies ou reproductions numériques réalisées à partir d'une source licite, en vue de l'exploration de textes et de données incluses ou associées aux écrits scientifiques pour les besoins de la recherche publique, à l'exclusion de toute finalité commerciale. Il s’agit de l’exception de « data mining » dont la mise en œuvre est soumise à un décret d’application qui n’a pas encore été pris.

  • Les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial.

La loi permet également le libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique, grâce au droit dévolu aux chercheurs de diffuser leurs articles après une courte période d’embargo de 6 à 12 mois, et ce quel que soit le contrat entre le chercheur et l’éditeur de la revue publiant l’article.

Le projet de réforme du droit d’auteur par une directive européenne.

Le 14 septembre 2016, la Commission européenne a publié sa proposition de directive 2016/280 Droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Conformément au processus d’adoption, le parlement et le conseil doivent se prononcer sur ce projet de directive avant que celle-ci ne soit adoptée. Par ailleurs, une directive n’est pas d’application directe : chaque état membre doit la transposer dans son propre ordre juridique (dans un délai de plusieurs années parfois) et dispose pour ce faire d’une certaine marge de manœuvre.

Ainsi chaque état membre pourra préciser ou parfois limiter les effets des dispositions générales de la directive. Le projet de la commission comporte un certain nombre de dispositions qui concernent directement la chaîne du livre, et parmi elles un certain nombre de nouvelles exceptions au droit d’auteur :

Exception pour les activités d’enseignement numériques et transfrontalières

Les États membres prévoient une exception pour autoriser l’utilisation numérique des œuvres protégées, à des fins non-commerciales, à la seule fin d’illustration dans le cadre d’un enseignement, à condition que cette utilisation :

  • ait lieu dans les locaux d’un établissement d’enseignement ou au moyen d’un réseau électronique sécurisé accessible uniquement aux élèves, étudiants et au personnel enseignant de l’établissement ;
  • s’accompagne de la citation de la source, notamment le nom de l’auteur, quand cela est possible.

L’enseignement général sur Internet, tel que les MOOC (Massive Open Online Courses) ne peuvent bénéficier de cette exception.

Les États membres peuvent prévoir une compensation équitable du préjudice subi par les titulaires des droits du fait de cette utilisation.

Il existe déjà en droit français une exception pédagogique (prévue par la directive droit d’auteur de 2001 et transposée en 2006 en France dans le code de la propriété intellectuelle), mais qui est aujourd’hui limitée aux extraits d’œuvres.

Exception pour la fouille de textes et données (data mining)

Les États membres prévoient une exception pour les reproductions et extractions effectuées par les organismes de recherche en vue de procéder à une fouille de textes et de données sur des œuvres protégées auxquelles ils ont légitimement accès à des fins de recherche scientifique. Les titulaires des droits sont autorisés à mettre en place des mesures de sécurité destinées à assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et bases de données sur lesquelles les œuvres protégées sont hébergées.

Les contours de cette exception sont plus larges et plus flous que ceux de l’exception de data mining déjà prévue par la loi pour une République numérique, qui limite l’exception à la seule recherche publique et à des fins exclusivement non commerciales.

Exception pour la préservation du patrimoine culturel

Les États membres prévoient une exception pour permettre aux institutions de gestion du patrimoine culturel de réaliser des copies de toute œuvre protégée qui se trouve en permanence dans leurs collections à la seule fin et dans la mesure nécessaire pour la préservation de ces œuvres. Une exception quasi identique de « conservation » existe déjà en droit français au profit des musées et services d’archives. La proposition de directive rappelle les conditions applicables à l’ensemble de ces exceptions :

  • Les exceptions ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre protégée ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ;

  • dès lors qu’une personne a un accès licite à l’œuvre protégée, elle doit pouvoir bénéficier des exceptions, dans les conditions prévues par la loi, et le titulaire des droits ne peut mettre en place des mesures techniques pour l’en empêcher.

Par ailleurs, la directive crée une obligation de transparence qui oblige les États membres à veiller à ce que les auteurs, interprètes et exécutants reçoivent régulièrement des informations appropriées et suffisantes, en temps utile, sur l’exploitation de leurs œuvres, de la part des personnes auxquelles ils ont cédé ou concédé leurs droits, notamment en ce qui concerne le mode d’exploitation, les recettes générées et la rémunération due, de manière proportionnée et effective. Cette obligation ne devrait pas renforcer significativement les droits des auteurs qui l’ont déjà été par l’ordonnance du 12 novembre 2014.

Elle crée également une obligation d’adaptation des contrats, permettant à l’auteur de demander une rémunération supplémentaire si la rémunération initialement prévue se révèle exagérément faible par rapport aux recettes et bénéfices ultérieurement tirés de l’exploitation des œuvres. Elle soumet les litiges relatifs à ces obligations à une procédure de médiation (règlement extra judiciaire des litiges).

La directive crée également un « droit voisin » pour les éditeurs de publication de presse en ce qui concerne l’utilisation numérique de leurs publications de presse, d’une durée de 20 ans à compter de la publication. Ils disposent ainsi du monopole de l’utilisation numérique de leur publication de presse, sans préjudice des droits de l’auteur sur son œuvre protégée incluse dans la publication. L’auteur ne peut ainsi être privé de son droit d’exploiter son œuvre en dehors de la publication de presse.

Et pour mémoire

La loi 2016-925 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, promulguée il y a déjà plus d’un an le 7 juillet 2016, pose le principe d’une création artistique libre et les objectifs d’une politique en faveur de la création artistique. Elle comporte peu de dispositions concernant directement le livre. Notons tout de même les points suivants :

  • la loi étend l’obligation d’un contrat écrit à tous les contrats « par lesquels sont transmis des droits d’auteur » alors que cette obligation était auparavant limitée aux contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle ;

  • la loi ratifie l’ordonnance du 12 novembre 2014 qui a profondément modifié le cadre juridique du contrat d’édition ;

  • la loi introduit l’obligation pour l’éditeur de procéder au paiement des droits au plus tard 6 mois après l’arrêté des comptes, sauf convention contraire conclue dans les conditions prévues par l’accord interprofessionnel (qui restent encore à être définies) et la faculté pour l’auteur de résilier le contrat après mise en demeure lorsque l’éditeur n’aura pas rempli cette obligation ; cette disposition s’applique à tous les contrats, même ceux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi ;

  • la loi réduit de 6 à 3 mois le délai de mise en demeure nécessaire pour résilier le contrat d’édition en l’absence de reddition des comptes ;

  • la loi prévoit la remise au Parlement d’un rapport du gouvernement sur la mise en œuvre de l’ordonnance du 12 novembre 2014 et de l’accord interprofessionnel conclu entre le CPE et le SNE le 1er décembre 2014. Ce rapport a été remis le 14 mars 2017 et évoque notamment les sujets pour lesquels les discussions interprofessionnelles se sont poursuivies après 2014, et dont certains ont d’ores et déjà fait l’objet d’un accord formalisé (voir plus loin dans cet article) ;

  • la loi comporte des mesures relatives à l’exception au droit d’auteur en faveur des personnes atteintes d’un handicap. Le décret d’application n° 2017-253 du 27 février 2017 abroge ou modifie certains articles du code de la propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives au contrôle exercé par l'autorité administrative ; les dispositions relatives aux personnes morales et aux établissements ouverts au public mettant en œuvre l'exception ; les dispositions relatives à la Bibliothèque nationale de France, et les dispositions relatives à l'organisme dépositaire des fichiers numériques ayant servi à l'édition d'œuvres imprimées. 

© Albane Lafanechère, avocat, août 2017, pour l'Arald.

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