Contrefaçon ou concurrence déloyale : Comment identifier les risques pour l’éditeur et s’en prémunir ?

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Le dernier (ou le premier) ouvrage édité par votre maison d’édition trône fièrement sur les tables des libraires, les actions de promotion sont en cours, l’auteur est ravi.

Tout va donc pour le mieux lorsqu’une lettre en recommandé AR atterrit sur votre bureau.

Sa lecture vous donne des sueurs froides : vous êtes accusé de plagiat, contrefaçon, concurrence déloyale ou parasitaire, et l’on vous fait des demandes d’indemnisation et de retrait de l’ouvrage.

Que s’est-il passé ?

Les risques quant au contenu de l’ouvrage

L’éditeur est juridiquement civilement et pénalement responsable du contenu de l’ouvrage qu’il publie, puisque c’est lui qui le porte à la connaissance du public. Ainsi, l’édition d’écrits, de composition musicale, de dessin ou de toute autre production imprimée « au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs » est définie par la loi comme un cas de contrefaçon.

Plus largement, toute reproduction, représentation ou diffusion, intégrale ou partielle, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit sans l’autorisation de l’auteur, y compris la traduction, l’adaptation ou la transformation, constitue une contrefaçon, autrement appelée « plagiat » dans le langage courant.

Pour pouvoir agir en contrefaçon, la victime (l’auteur ou son ayant droit, par exemple son éditeur) devra en premier lieu démontrer l’originalité de son œuvre, à savoir le fait que celle-ci manifeste un effort créatif et porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur, condition sine qua non pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur. Cette condition est appréciée de manière plus rigoureuse aujourd’hui qu’auparavant par les tribunaux français.

La victime de contrefaçon ou plagiat devra ensuite démontrer que l’ouvrage dit contrefaisant présente des ressemblances avec les caractéristiques originales de son œuvre. La contrefaçon s’apprécie en effet en fonction des ressemblances et non des différences, et celles-ci s’apprécient diversement en fonction des ouvrages concernés.

La comparaison des ressemblances selon les genres éditoriaux

En matière d’édition littéraire, il a été ainsi jugé que l’œuvre romanesque se caractérise par une forme ou un style propres à l’auteur, par des personnages et par une intrigue, et que c’est l’articulation de ces trois éléments qui définit ce qui ne peut être reproduit sans autorisation de l'auteur ou de ses ayants droit.

En application de ce principe, la cour d’appel de Versailles a pu juger en 1993, après avoir procédé à une comparaison très détaillée de ces éléments, que « La Bicyclette Bleue » de Régine Desforges ne contrefait pas le célèbre roman « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell, bien qu’il en soit très ouvertement inspiré.

En matière de biographie ou d’ouvrage historique, si l’identité de sujet n’est évidemment pas répréhensible, la contrefaçon sera caractérisée lorsque le travail de recherche, de sélection et de classement de données appartenant au domaine public réalisé par le premier auteur, aura fait l’objet d’emprunts importants et injustifiés.

La contrefaçon est donc une notion large, sujette à une appréciation qui peut comporter une part de subjectivité.

Les garanties dont bénéficie l’éditeur

Il est d’usage d’inclure dans les contrats d’édition une clause par laquelle l’auteur garantit que son œuvre est originale et ne contient aucun emprunt à une autre œuvre qui serait de nature à engager la responsabilité de l’éditeur (voir notamment le contrat type du SNE.

Même en l’absence d’une telle clause au contrat, l’éditeur, cessionnaire des droits de l’auteur, dispose d’une garantie légale (dite « garantie d’éviction ») qui lui permet, dans le cas où il serait poursuivi pour contrefaçon, de former un recours contre le cédant, auteur de l’ouvrage contrefaisant.

L’efficacité d’un tel recours peut néanmoins s’avérer illusoire dans le cas où les enjeux financiers sont importants. Il revient donc à l’éditeur d’identifier les risques de réclamations, d’autant plus que sa bonne foi ne pourra pas l’exonérer de sa responsabilité civile.

Il vous est donc conseillé de sensibiliser l’auteur à cette problématique, le cas échéant de lui demander ses sources d’inspiration, et de vérifier vous-même dans la production éditoriale pertinente si des ouvrages préexistants peuvent poser difficulté.

Les risques quant à la thématique ou à la présentation de l’ouvrage

Indépendamment du contenu de l’ouvrage, la présentation (graphisme et illustrations de la couverture et des pages intérieures, mise en page, typographie…) ou la thématique d’un ouvrage ou d’une collection, qui relèvent du choix de l’éditeur, peuvent le cas échéant faire l’objet de la réclamation d’un tiers, généralement un éditeur concurrent, si ce dernier estime que ces éléments imitent les caractéristiques de ses propres ouvrages ou collections.

Cette réclamation sera généralement fondée sur la concurrence déloyale, qui nécessite la démonstration d’une faute.

La concurrence déloyale doit s’apprécier au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, qui suppose qu'un produit qui ne fait pas l'objet d’un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit.

Ainsi, l’existence de similitudes, même fortes, dans la présentation de collections ou d’ouvrages ne suffira pas pour assurer le succès d’une action en concurrence déloyale : il faudra démontrer une faute. La seule ressemblance ne saurait en effet être sanctionnée, sauf si elle témoigne d’une volonté de s'épargner des investissements ou de créer la confusion.

Une des formes de la concurrence déloyale est le parasitisme, dans lequel la faute est caractérisée par la reprise de façon injustifiée du savoir-faire, du travail intellectuel et des investissements d’autrui. Il faut démontrer que l’éditeur s’est placé indument dans le sillage d’un tiers, pour s’approprier son travail sans bourse délier.

La faute pourra aussi consister en la création d’un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l’origine de la prestation. L’appréciation de la faute à cet égard doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment, du côté de celui qui est poursuivi, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou l’imitation, et du côté de celui qui affirme avoir été copié, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la présentation copiée, ou encore l'identité des circuits de vente.

Très souvent, c’est la combinaison de plusieurs éléments qui pris ensemble peuvent traduire la volonté d’imiter qui va déclencher une réclamation de la part d’un éditeur : reprise du « concept » d’une collection, imitation des thèmes, de la charte graphique ou de la ligne éditoriale, commercialisation des ouvrages dans les mêmes rayons de librairie, similitude visuelle des ouvrages, prix de vente comparable, même public visé.

Un éditeur a été ainsi condamné pour concurrence déloyale pour avoir repris un titre et un format comparables, un même concept consistant à proposer aux enfants la lecture d'une histoire par jour avant Noël, et une couverture comportant une illustration similaire à celle du concurrent, ces circonstances étant, selon la juridiction, de nature à créer une confusion certaine dans l'esprit du public entre les ouvrages en cause.

En revanche, si les caractéristiques communes sont banales ou nécessaires, et se retrouvent chez d’autres concurrents, la faute ne sera pas caractérisée.

Ainsi, la concurrence déloyale n’a pas été retenue pour un éditeur à qui il était reproché d’avoir cherché à profiter de la notoriété d’un concurrent en publiant un ouvrage intitulé « Paraboles de bonheur » dans une présentation graphique reprenant les caractéristiques de la collection antérieure « Paraboles » de ce concurrent. Le tribunal a jugé que l’éditeur premier ne pouvait pas s’approprier le terme « paraboles » et que les éléments repris n’étaient pas de nature à identifier la maison d'édition antérieure aux yeux du public.

Enfin, l’éditeur plaignant doit faire la preuve de son savoir-faire et de son travail intellectuel ainsi que de ses investissements humains et financiers consacrés à son ouvrage ou à sa collection. Pour cela il doit produire des chiffres et des éléments d’explications relatifs à son processus de création. Faute d'éléments concrêts, l’action en concurrence parasitaire sera vouée à l’échec.

Les précautions à prendre

La frontière entre inspiration et copie est parfois ténue et en tant qu’éditeur, vous devez être conscient des risques inhérents à la reprise d’éléments déjà utilisés par des concurrents, ne serait-ce que pour évaluer ces risques et faire vos choix éditoriaux en connaissance de cause.

A titre d’exemple, la reprise de caractéristiques graphiques emblématiques et peu communes de la collection d’un éditeur concurrent, pour la création d’une collection nouvelle à la thématique identique à celle dudit concurrent, présente des risques importants. Il est donc souhaitable en tout premier lieu de bien connaître le paysage éditorial concurrent.

Prenez garde également lorsque vous confiez la création de la charte graphique de votre nouvelle collection à un prestataire à qui vous donnez des exemples de collections « qui marchent bien » chez les concurrents : le prestataire peut s’en inspirer sans discernement et sans avoir conscience d’une éventuelle difficulté.

Si vous avez des doutes sur le point de savoir si vous avez franchi la ligne blanche, n’hésitez pas à demander leur avis à des tiers disposant du recul nécessaire pour effectuer une comparaison objective entre votre création et celles de vos confrères.

© Albane Lafanechère, avocat, juin 2023, pour Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture.
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