Les droits d’édition numérique, une cession obligatoire ?

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Nombreux sont les éditeurs qui s'interrogent sur la pertinence, voire la nécessité, d'obtenir les droits numériques. Concrètement, est-ce une obligation ? Quelles sont les conséquences si les droits ne sont pas cédés ? Et quelles sont les obligations en cas de cession ?

Bouleversé par les évolutions techniques, les nouveaux usages et le numérique, le secteur de l'édition a dû adapter ses pratiques et revoir le cadre contractuel des relations entre auteurs et éditeurs.
Durant quelques années, le contrat d’édition, traditionnellement réservé à l’édition d’ouvrages sous forme imprimée, a été amendé par des clauses dites « numériques » ou « clause d’édition numérique » qui permettaient aux éditeurs de se réserver les droits d’édition sous cette forme.
La situation ne pouvait perdurer de la sorte, car le contenu du contrat d’édition est très largement dicté par la loi, de sorte que la volonté des parties y joue un rôle accessoire.

La réforme du contrat d’édition en 2014

Afin de poser des règles communes et contraignantes relatives à l’édition numérique, les auteurs et les éditeurs, par l’intermédiaire de leurs représentants institutionnels respectifs, le Conseil Permanent des Écrivains et le Syndicat National de l’Édition, ont engagé des négociations qui ont abouti à un accord-cadre sur le contrat d’édition à l’ère du numérique.

Cet accord a été mis en œuvre par deux séries de dispositions :

  • Une ordonnance du 12 novembre 2014 (ratifiée par la loi du 7 juillet 2016) qui a remanié les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition, et posé de grands principes qui s’appliquent à tous,
  • Un arrêté du 10 décembre 2014 qui vient compléter le dispositif légal en rendant obligatoire « pour tous les auteurs et les éditeurs et tous les éditeurs du secteur du livre » l’accord conclu le 1er décembre 2014 entre le CPE et le SNE sur le contrat d’édition dans le secteur du livre.

Désormais, la loi consacre le fait que le contrat d’édition peut avoir pour objet aussi bien un ouvrage papier qu’un ouvrage numérique, mais l’obligation essentielle de l’éditeur ne change pas : il est toujours « tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession », ce qui est la contrepartie naturelle de la cession exclusive de ses droits par l’auteur.

De l’acquisition des droits d’exploitation sous forme numérique

Nombreux sont les éditeurs qui s'interrogent sur la pertinence, voire la nécessité, d'obtenir les droits numériques quand ils n'ont pas de projet de numérisation des nouveautés ni du fonds et n'ont pas envisagé de déployer un catalogue d'oeuvres numériques.

Les éditeurs n’ont aucune obligation à cet égard et l’auteur est libre de céder indépendamment ses droits sur l’édition imprimée et ses droits sur l’édition numérique.

Ainsi, si un contrat ne prévoit aucune disposition relative à l’édition numérique, il faudra en conclure que l’auteur n’a pas cédé ses droits concernant cette exploitation, et en est toujours titulaire. Ceci est l’application du principe selon lequel tout droit qui n’est pas cédé expressément par l’auteur lui est réservé.
Il en sera de même si le contrat contient des clauses du type « droits cédés pour tout type de support présent ou à venir », ou « cession tous droits compris ». En effet ces clauses sont trop imprécises pour être efficaces.
Si le contrat vise une cession « pour des modes d’exploitation non prévisibles ou non prévus » au contrat, cette cession pourra être considérée comme incluant les droits d’édition numérique, sous réserve :

  • d’une part que ce mode d’exploitation ait été inconnu des parties lors de la conclusion du contrat, ce qui suppose un contrat conclu antérieurement aux années 2000 ;
  • et d’autre part qu’une rémunération corrélative aux profits d'exploitation soit stipulée, ce qui est rarement le cas.

Des conséquences du défaut d’acquisition des droits numériques

En l’absence de clause de cession de l’édition numérique, l’auteur peut disposer de ses droits d’édition numérique comme il l’entend, et les céder à un tiers aux conditions de son choix sans obligation d’informer l’éditeur en charge de l’édition imprimée. Or l‘exploitation par deux éditeurs distincts d’un même ouvrage sur des supports différents empêche une stratégie d’exploitation globale de l’œuvre, et peut nuire à l’exploitation sous forme imprimée en créant une concurrence malvenue.
Il est donc recommandé de prévoir dans le contrat « édition imprimée » une clause obligeant l’auteur à informer l’éditeur de son souhait de céder ses droits numériques, voire une clause donnant à l’éditeur un droit de préférence sur cette cession des droits numériques.

Des conséquences de l’acquisition des droits d’exploitation numérique : l’obligation d’exploitation et ses différents aspects

Pour se protéger, l’éditeur peut envisager de conclure avec ses auteurs des contrats incluant la cession des droits numériques, sans avoir l’intention d’exploiter dans l’immédiat l’ouvrage sous cette forme. Cette cession protège l’éditeur, puisqu’elle empêche l’exploitation des droits numériques par un autre que lui, mais pendant un temps seulement. En effet, l’éditeur est tenu d’une obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre sous une forme numérique, à défaut de quoi l’auteur peut mettre fin au contrat d’édition pour l’exploitation numérique et reprendre ses droits.

La réforme de 2014 est venue préciser les contours et critères de cette obligation ainsi que les conditions et délais dans lesquels l’auteur peut mettre fin au contrat si cette obligation n’est pas remplie.

L’obligation de publication

En premier lieu, l’éditeur est tenu de publier le livre numérique dans un délai de 15 mois à compter de la remise par l’auteur de l’objet de l’édition « en une forme qui permette la publication », c’est-à-dire sous forme de manuscrit définitif.
Si la date de cette remise ne peut pas être définie de manière probante, le délai sera de trois ans à compter de la date de signature du contrat d’édition (date qui parfois n’est pas indiquée sur le contrat et n’est pas plus facile à déterminer…).
Toutefois, cette obligation ne doit pas avoir pour effet d’obliger l’éditeur à publier l’œuvre sous une forme numérique avant sa parution sous une forme imprimée.
Si l’éditeur n’a pas publié à l’expiration des délais prévus, l’auteur pourra le mettre en demeure de le faire. Pour les contrats d’édition conclus avant le 1er décembre 2014 et qui contiendraient des clauses de cession de droits numériques, cette mise en demeure peut être faite à tout moment depuis le 1er décembre 2016.
L’éditeur aura alors 3 mois pour procéder à la publication, à défaut de quoi la cession des droits d’exploitation numérique sera résiliée automatiquement.
Si l’auteur n’a pas réagi immédiatement, et qu’un délai de plus de 2 ans et 3 mois s’est écoulé depuis la remise du manuscrit (ou à défaut, de plus de 4 ans à compter de la date du contrat d’édition), alors l’auteur n’aura pas besoin de faire une mise en demeure, et la résiliation aura lieu sur simple notification de sa part.
L’auteur reprendra alors ses droits d’exploitation numérique, sans que cela remette en cause le contrat d’édition portant sur la version imprimée. Cette reprise porte sur « la dernière version de l’œuvre approuvée » par l’auteur, à l’exclusion bien entendu des apports d’autres auteurs distincts de l’œuvre (illustrations, préface, appareil critique…).

Comme on le voit, l’éditeur peut donc gagner du temps. Il faut néanmoins garder à l’esprit l’obligation générale selon laquelle un contrat doit être conclu et exécuté de bonne foi. Ainsi, une acquisition de droits d’exploitation numérique qui aurait été manifestement faite pour bloquer cette exploitation, sans intention de la mettre en œuvre, pourrait engager la responsabilité de l’éditeur.

L’obligation de diffusion active

En second lieu, l’éditeur est tenu, quel que soit le mode d’exploitation, « d’assurer une diffusion active de l’ouvrage pour lui donner toutes ses chances auprès du public », ce qui l’oblige, à compter de la publication, à :

  • Exploiter l'œuvre dans sa totalité sous une forme numérique : la pratique de la vente au chapitre des livres numériques est répandue, mais l’éditeur devra néanmoins proposer le livre dans son intégralité ;
  • La présenter à son catalogue numérique ;
  • La rendre accessible dans un format technique exploitable en tenant compte des formats usuels du marché et de leur évolution, et dans au moins un format non propriétaire : le standard ePub est à cet égard le plus couramment utilisé ;
  • La rendre accessible à la vente, dans un format numérique non propriétaire, sur un ou plusieurs sites en ligne, selon le modèle commercial en vigueur dans le secteur éditorial considéré.

L’éditeur peut choisir de vendre ses livres directement sur son site propre internet. Il peut alternativement, ou en plus, choisir de faire appel à une un distributeur numérique (pour la plupart issus de grands groupes d'édition : Hachette, Editis, Eden Livres, mais aussi Harmonia Mundi, Immatériel, The Ebook Alternative) qui fournit les revendeurs traditionnels que sont les librairies indépendantes et les autres points de vente du livre.

Le contenu des clauses de cession de droits numériques

Lorsque le contrat d’édition a pour objet l’édition d’un livre à la fois sous une forme imprimée et sous une forme numérique, les conditions de cession des droits numériques doivent obligatoirement figurer dans une partie distincte du contrat d’édition, sous peine de nullité de la cession. Cette disposition résulte d’un compromis entre les éditeurs et les auteurs, ces derniers souhaitant initialement la signature de deux contrats distincts.
Le contrat d’édition contiendra ainsi des dispositions communes à l’édition imprimée et numérique, et des dispositions spécifiques à chaque type d’exploitation.

Les conditions relatives à l’exploitation numérique doivent notamment déterminer :

  1. La durée de la cession du droit d'exploitation numérique Comme pour toute cession de droits d’auteur, le contrat devra également préciser le lieu d’exploitation. Les limitations géographiques peuvent avoir peu de sens en matière de numérique, néanmoins l’éditeur peut s’engager à ne pas distribuer ou diffuser activement l’ouvrage sur un territoire donné.
  2. Les conditions de signature du bon à diffuser numérique.
  3. Les formes d'exploitation numérique et/ou électronique envisagées et autorisées.
    Aujourd’hui les deux principaux modes de commercialisation des livres numériques sont les ventes à l’unité (qu’il s’agisse de téléchargement ou de streaming) qui représentent la moitié des ventes, et les abonnements et ventes de licences d’utilisation de contenus (bouquets, portail). Les ventes sur supports physiques (CD, DVD, clé USB) et les ventes d’application sont très minoritaires.
  4. Les modalités de rémunération de l'auteur et les conditions de réexamen de la rémunération.
    La rémunération peut être forfaitaire ou proportionnelle. En cas de vente à l’unité, l’auteur est rémunéré classiquement par un pourcentage sur le prix de vente public hors taxes. Dans les autres cas, l’auteur doit en principe être rémunéré sur la base du prix payé par le public au prorata des consultations et des téléchargements de l’œuvre. Toutefois, compte tenu de la difficulté à effectuer ce calcul, il est possible de prévoir que l'auteur sera rémunéré sur les recettes encaissées par l'éditeur au prorata des consultations et des téléchargements de l'œuvre.
    Pour tenir compte des évolutions rapides des techniques et des usages dans le domaine du numérique, l’accord de 2014 a prévu que la rémunération de l’auteur puisse faire l’objet d’un réexamen périodique et d’une négociation de bonne foi à la demande de l’auteur ou de l’éditeur, portant notamment sur l'adéquation de la rémunération de l'auteur à l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique de l'éditeur ou du secteur.
  5. La périodicité et les formes des redditions de comptes.
    Les obligations en la matière sont communes à l’édition numérique et imprimée, si ce n’est que les informations propres aux droits numériques doivent mentionner, d'une part, les revenus issus de la vente à l'unité, et, d'autre part, les revenus issus des autres modes d'exploitation de l'œuvre, ainsi que les modalités de calcul de ces revenus en précisant l'assiette et le taux de rémunération. Ces autres modes d'exploitation doivent chacun être spécifiquement identifiés par une ligne distincte.
  6. Les conditions de reprise du droit d'exploitation numérique (vues plus haut).
    Comme on le voit, les conditions de la cession de droits numériques sont dictées très largement par l’arrêté de 2014 reflétant l’accord intervenu entre auteurs et éditeurs, de sorte qu’il est laissé peu de marge à la négociation.

© Albane Lafanechère, avocat, septembre 2019, pour Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture.

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